Cela fait 3 ans que j’interviens lors de séminaires et ateliers collaboratifs.
Lorsque j’interviens en capture visuelle uniquement et non en facilitation en intelligence collective, j’ai l’occasion d’observer la façon dont s’organise le travail de groupe.
J’ai noté des erreurs récurrentes lorsque ces ateliers sont animés en interne, par des personnes qui ne sont pas spécialistes de l’intelligence collective.
Je vous expose ici ces situation tirées de mes observations, ainsi que quelques pistes pour y remédier.
1. "Soyez créatifs !" - L’atelier de brainstorming
Des personnes sont assises autour d'une table. Une fiche avec un questionnaire est disposée sur la table. La personne qui anime demande de chercher des idées. Elle leur dit "Soyez créatifs !". La situation parait presque caricaturale lorsque je la décris, mais je l'ai pourtant vue à plusieurs reprises au fil des années.
A la table, des profils variés ont été mélangés. Il y a souvent au moins une personne qui est comptable / responsable financière / élu en charge du budget. Souvent cette personne balaie toutes les propositions faites par le groupe d'un "oui mais on n'a pas les moyens de...".
Pourquoi c'est un problème ?
Ici le problème est double :
- Dire "Soyez créatifs" n'est pas suffisant pour que les gens le soient. Assis à une table avec un questionnaire, c’est une activité très scolaire qui n’invite pas à la créativité. L'organisation spatiale, le support proposé, les consignes, rien n'appelle et ne
prépare à être créatif et à sortir du cadre habituel, donc des réponses classiques habituelles.
-Les profils financiers et/ou pragmatiques ont tout à fait leur place dans le processus. Cependant, il y a un temps pour tout. Dans une phase de génération d’idées, il est important de pouvoir s’exprimer et proposer toutes les idées sans censure : sérieuses, farfelues, lieu communs ou plus originales. Le temps du pragmatisme vient ensuite.
Comment on fait ?
- Préparer les esprits avec une activité d’inclusion créative et ludique.
- Proposer un cadre différent et inspirant : en marchant, avec du matériel créatif, partager des témoignages inspirants, etc.
- Recadrer les personnes qui limitent les idées (à condition d’avoir posé le cadre au départ).
- Accepter que des personnes se mettent en retrait si elles ne se sentent pas à l’aise dans cette phase.
"Encore des post-it"... Ou la résistance aux activités collaboratives
Les premières fois que j'ai entendu "Pff... Encore des post-it...", je n'ai pas compris le problème, car je voyais le post-it uniquement comme un outil, et je ne comprenais pas comment un carré adhésif
coloré pouvait crisper autant (et bien d’avantage que d’autres outils que je trouve à titre personnel bien plus pénibles, comme le Power-point soporifique).
Puis au fil du temps, j'ai compris que ce n'était pas l'outil qui posait problème.
Le vrai problème, c'est que dans beaucoup de démarches dites collaboratives, le niveau de collaboration attendu n'a pas été précisé aux personnes qui participent. Peut-être que les personnes qui organisent ne se sont pas posé la question.
Pourquoi c'est un problème ?
Si les personnes qui participent à l’atelier pensent qu'elles vont prendre une décision alors que les gens qui organisent n'attendent que des idées, les participantes et participants risquent fort
d'être déçus.
Il est donc crucial que les organisateurs/décideuses se demandent avec honnêteté qui va prendre la décision :
-elleux tout seuls après avoir consulté les propositions du groupe ?
-elleux dans le groupe ?
-le groupe sans elleux ?
Comment on fait ?
Toutes les options peuvent être légitimes. Les décideurs doivent en
informer avec clarté le groupe.
3. Groupes de travail : qui parle ?
Dans des groupes qui ne sont pas alertés sur ce sujet, et sans personne pour réguler, j’ai vu une même mécanique se reproduire dans beaucoup de groupes.
Imaginons un petit groupe de 6 personnes. Ce jour là, les organisatrices ont voulu gommer les hiérarchies, et mêler dans des groupes des profils très divers.
Dans ce groupe, il y a l’un des organisateurs de l’atelier et/ou le chef de service/ directeur général / élu de quartier. Cette personne est (souvent, mais pas toujours), un homme à l’aise pour
prendre la parole.
Dans ce groupe, il y a aussi de simples agents / citoyennes / salariés. Parmi ces personnes, il y en a au moins une ou deux qui ne sont pas du tout à l’aise pour prendre la parole, parce qu’elles en ont
peu l’occasion dans leur quotidien.
Et devinez ce qui se passe ?
- l’ organisateur de l’atelier et/ou le chef de service/ directeur général / élu utilise 50 % du temps de parole alors qu’il y a 6 personnes
-Il coupe la parole, en particuliers aux femmes
-les personnes moins à l’aise n’ont presque pas pris la parole.
Pourquoi c’est un problème ?
Ceux qui donnent leur avis et décident dans les réunions du quotidien
font comme d’habitude, et on n’a quasiment pas entendu la voix de celles et ceux qu’on voulait spécifiquement entendre ce jour là.
Le groupe s’est privé de ce croisement d’idées, de co-construction grâce à des profils variés, bref, exactement de qui était recherché ce jour là.
Comment on fait ?
-poser un cadre au départ (partage de la parole)
-circuler dans les groupes, observer, rappeler le cadre
4. le facilitateur-participant
Souvent, lorsque des ateliers collaboratifs sont animés par des facilitateurs ou faciliatrices internes, ces personnes prennent un double rôle de facilitateur et participant.
Ils organisent cette réunion parce qu’ils travaillent sur un sujet dont ils sont experts.
Pourquoi c’est parfois un problème ?
On l’a vu au point précédent, il ne suffit pas de donner une consigne. L’animation du groupe de travail demande une vigilance tout au long du processus.
Etre impliqué sur la forme et sur le fond en même temps, c’est très honnêtement un exercice très difficile, il faut une sacrée maîtrise de la facilitation pour jongler entre les 2 ! A ce jour, je n’ai vu
personne exercer pleinement ces deux rôles simultanés avec succès.
Il y a un risque d’être la personne qui monopolise la parole, ou alors de se sentir déborder,
ou de ne pas être en mesure de tenir le cadre, ou de ne pas être disponible pour penser le fond du sujet comme on le voudrait.
Alors comment on fait ?
2 options :
Accepter de ne pas contribuer sur le fond pour se concentrer sur la forme.
ou
Si besoin de contribuer sur le fond du sujet, trouver une autre personne pour faciliter le
temps d’atelier. Cela peut être :
- une collègue d’un autre service
- pour les acteurs publiques, la communauté Utilo pilotée par le Ti-Lab Bretagne
favorise ce type d’échanges de services avec un système de monnaie-temps.
- un ou une facilitatrice professionnelle externe lorsque les enjeux sont forts.